Festival Voix vives
de Méditerranée en Méditerranée, Sète, 20-28 juillet 2012
Quelque chose de nous
vivra 
dans le balancement
léger des asphodèles
Jacques Lovichi (France)
Assise sur la jetée, je feuillète le
programme du festival de poésie de Sète, « Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée ».
Entre les pages du livret résonne, à intervalles réguliers, comme rythmé par le
mouvement même des vagues qui fouettent les rochers à mes pieds, le chant
profond d’artistes venus de tous les pays qui forment le bassin de « La
grande bleue » et de contrées francophones. À eux seuls, les intitulés des
nombreuses animations proposées me transportent et m’enchantent : « Toutes
voiles dehors », « La clef des champs », « Poésie de plein
fouet », « D’une rive à l’autre », « Sieste par sons et par
mots », « La tête dans les nuages »…
Fille de l’océan, je choisis d’assister, pour
cette première soirée, à une lecture musicale joliment nommée « Poésie dans
les voiles ».  Le spectacle se
déroule à quai, sur un vieux gréement baptisé « Le jusqu’au bout » dont
le propriétaire, un navigateur chevronné à barbe chenue, est très fier de nous
faire les honneurs. Malgré la chaleur estivale, le vent frais qui court sur les
flots nous oblige à enfiler « une petite laine ». Bientôt, dans l’obscurité
naissante, s’élève le souffle puissant du poète voyageur Anthony Phelps. L’artiste
haïtien entonne un véritable hymne à l’amour, à son pays, à la femme, tandis qu’à
l’avant du mât de misaine, la trinquette à peine renflée claque doucement entre
les cordages.
près des
filets
le cri
rauque des goélands 
la soirée
s’étire
Premier matin sur la Place du « Pouffre ».
Ce mot appartient à la langue littorale et lagunaire sétoise : il signifie
« poulpe ».
Au centre de la fontaine, le mollusque crache
sans interruption sur les pigeons ébouriffés, accompagnant les débats poétiques
d’un léger gargouillis. Le stand haïku se situe au fond, à droite, de sorte que
les gens qui l’atteignent ne le font pas par hasard : ils connaissent déjà
peu ou prou le sujet. Un poète confirmé m’interroge longuement sur les livres
présentés. Nous échangeons tous deux nos points de vue sur quelques haïkus
avant qu’il ne porte son choix sur Les
herbes m’appellent[1] et sur CHOU HIBOU HAÏKU Guide de haïku à l’école et ailleurs[2].
En riant, il me présente alors son épouse japonaise : « Elle s’appelle
justement Haïshu ! ».
Sous l’auvent, l’après-midi devient brûlant.
Pour une fois, je n’ai guère besoin de me forcer pour boire : ma bouteille
d’eau gazeuse est promptement avalée. 
Se succèdent différentes personnes, toutes
curieuses d’échanger sur le haïku. L’une d’elles, chef de service dans un
hôpital psychiatrique, a décidé que les membres de son équipe porteraient au
tableau d’affichage, chaque matin, un haïku, afin de détendre les esprits avant
d’entamer la lourde journée de travail.
Certains désirent des renseignements à propos
du haïbun qui intéresse passablement les auteurs de nouvelles. Une femme est
ravie d’apprendre le nom de ce texte littéraire qui mêle prose et haïku : « J’en
écris depuis longtemps sans même savoir qu’il s’agit du haïbun ! ». 
Cette encre
me porte aussi haut que mon souffle
Mohamed Bennis
(Maroc)
Peu à peu, l’air est devenu moite. La brume baigne
à présent le port, nimbant les lourds chalutiers qui rentrent pour la criée. Les
mouettes et goélands tapageurs, attirés par la manne, suivent leur sillage et fondent
à grands battements d’ailes sur les poissons blessés jetés par-dessus bord. 
À
quai, flotte l’odeur caractéristique des retours de pêche, tandis que l’effervescence
s’empare de chaque équipage. Le butin est trié par catégories et tailles :
de nombreux bacs de rougets, petits merlus, baudroies, daurades royales, poulpes ou encore anchois, maquereaux et autres
animaux pélagiques… mais les sardines, de
plus en plus rares dans le secteur, manquent à l’appel.
Une fois le poisson débarqué, les acheteurs prennent
place dans l’amphithéâtre. Ils flairent alors la bonne affaire sur le tapis
roulant et le cadran, car la criée est aujourd’hui entièrement automatisée. L’astuce
consiste à déclencher prestement la télécommande infrarouge lorsque l’enchère descend
au bon prix. Si deux clients se manifestent au même moment, celle-ci remonte
jusqu’à l’instant où l’un d’entre eux réagit le premier.
En remontant par la Rue Rapide, nous tombons sur un
insolite spectacle de rue improvisé : deux femmes et un enfant sont
endormis sur une scène, livrés au regard des passants qui, un peu étonnés, font
soudain silence. Ailleurs, la poésie bat son plein dans une impasse de la
largeur d’une estrade. Aux sublimes envolées amoureuses, répondent les cris
stridents des oiseaux de mer attroupés sur les toits. Alors qu’une rafale d’applaudissements
nourris retentit, le poète, qui s’apprête à se lever pour remercier l'auditoire,
tombe de son siège et se retrouve, un peu ahuri mais souriant toujours, les
quatre fers en l’air. Les applaudissements redoublent.
J’avale
le monde à chaque instant 
et peu
après il est à nouveau dans ma bouche
Claudio Pozzani (Italie)
Nous redécouvrons Georges Brassens à l’Espace qui
lui est dédié, parcourant sa vie au son de sa voix et de ses chansons tellement
pleines d’allant et d’ironie mordante. La guitare égrène ses facéties appuyées
d’un clin d’œil malicieux.  
Le cimetière le Py, cimetière « des
pauvres », surplombe l’étang de Thau. Des cyprès géants le bordent et les
cigales creusent le silence aux heures les plus torrides. « Un petit trou
moelleux », en guise d’ultime demeure, abrite les restes du poète chanteur.
cette ombre
sur le marbre…
est-ce le
pin parasol 
ou bien
la croix ?
Musique
:G 
Brassens, Supplique pour être enterré sur la plage de Sète 
| 
La Camarde qui ne m'a jamais
pardonné 
D'avoir semé des fleurs dans
les trous de son nez 
Me poursuit d'un zèle
imbécile 
Alors cerné de près par les
enterrements 
J'ai cru bon de remettre à
jour mon testament 
De me payer un
codicille 
Trempe dans l'encre bleue du
Golfe du Lion 
Trempe trempe ta
plume ô mon
vieux tabellion 
Et de ta plus belle
écriture 
Note ce qu'il faudra qu'il
advint de mon corps 
Lorsque mon âme et lui ne
seront plus d'accord 
Que sur un seul point 
la rupture 
Quand mon âme aura pris son
vol à l'horizon 
Vers celle de Gavroche et de
Mimi Pinson 
Celles des
titis des grisettes 
Que vers le sol natal mon corps
soit ramené 
Dans un sleeping du
Paris-Méditerranée 
Terminus en gare de
Sète 
Mon caveau de
famille hélas !
n'est pas tout neuf 
Vulgairement
parlant il est
plein comme un œuf 
Et d'ici que quelqu'un n'en
sorte 
Il risque de se faire tard et
je ne peux 
Dire à ces braves gens 
poussez-vous donc un peu 
Place aux jeunes en quelque
sorte 
Juste au bord de la mer à deux
pas des flots bleus 
Creusez si c'est possible un
petit trou moelleux 
Une bonne petite
niche 
Auprès de mes amis
d'enfance
les dauphins 
Le long de cette grève où le
sable est si fin 
Sur la plage de la
corniche 
C'est une plage où même à
ses moments furieux 
Neptune ne se prend jamais trop
au sérieux 
Où quand un bateau fait
naufrage 
Le capitaine crie 
"Je
suis le maître à bord ! 
Sauve qui
peut le vin et le
pastis d'abord 
Chacun sa bonbonne et
courage" 
Et c'est là que jadis à
quinze ans révolus 
À 
l'âge où s'amuser tout seul
ne suffit plus 
Je connus la prime
amourette 
Auprès d'une
sirène une femme-poisson 
Je reçus de l'amour la première
leçon 
Avalai la première
arête 
Déférence gardée envers Paul
Valéry 
Moi l'humble troubadour sur lui
je renchéris 
Le bon maître me le
pardonne 
Et qu'au moins si ses vers
valent mieux que les miens 
Mon cimetière soit plus marin
que le sien 
Et n'en déplaise aux
autochtones 
Cette tombe en sandwich entre
le ciel et l'eau 
Ne donnera pas une ombre triste
au tableau 
Mais un charme
indéfinissable 
Les baigneuses s'en serviront
de paravent 
Pour changer de tenue et les
petits enfants 
Diront 
chouette un château
de sable ! 
Est-ce trop demander 
sur mon
petit lopin 
Planter je vous en prie une
espèce de pin 
Pin parasol de
préférence 
Qui saura prémunir contre
l'insolation 
Les bons amis venus faire sur
ma concession 
D'affectueuses
révérences 
Tantôt venant d'Espagne et
tantôt d'Italie 
Tous chargés de
parfums de
musiques jolies 
Le Mistral et la
Tramontane 
Sur mon dernier sommeil
verseront les échos 
De
villanelle un jour un jour
de fandango 
De
tarentelle de sardane 
Et quand prenant ma butte en
guise d'oreiller 
Une ondine viendra gentiment
sommeiller 
Avec rien que moins de
costume 
J'en demande pardon par avance
à Jésus 
Si l'ombre de sa croix s'y
couche un peu dessus 
Pour un petit bonheur
posthume 
Pauvres rois
pharaons pauvre Napoléon 
Pauvres grands disparus gisant
au Panthéon 
Pauvres cendres de
conséquence 
Vous envierez un peu l'éternel
estivant 
Qui fait du pédalo sur la
plage en rêvant 
Qui passe sa mort en
vacances 
Vous envierez un peu l'éternel
estivant 
Qui fait du pédalo sur la plage en
rêvant 
Qui passe sa mort en
vacances | 
Déclin du jour. Le soleil inonde le théâtre
de la mer vers lequel se presse la foule. Les gradins sont presque complets
déjà. Un paquebot se profile à l’horizon, derrière la scène, tandis que les
projecteurs éclairent bientôt le vol de quelque goéland de passage au fond de l’enceinte
de pierre ouverte sur le large.
Le bruit du ressac couvre de temps en temps
le brouhaha des voix.
Après un prélude poétique par Gabrielle
Althen (France) et Philippe Thancelin (France), débute le somptueux spectacle
donné par le duo Nathalie Dessay et Michel Legrand. S’engage un touchant et
magnifique dialogue entre le talentueux octogénaire et la jeune virtuose, serments
d’amour échangés dans la nuit comblée.
Mon instant
s’est suspendu 
À un
temps beau, écoulé et fini
Saadlah Mufarreh (Koweit)
[1] Les
herbes m'appellent, éditions L'iroli, haïkus de Niji Fuyuno et Ryu Yotsuya,
préface et essais de Thierry Cazals, 2012, ISBN 978-2-916616-22-3.
[2] CHOU
HIBOU HAIKU Guide de haïku à l'école et ailleurs - collectif sous la direction
de Jean Antonini - Alter éditions, 2011, ISBN 978-2-84301-331-7
N.B. Les extraits
poétiques cités ont été choisis parmi ceux qui émaillent les pages du livre
consacré au programme du Festival « Voix Vives » de Sète.
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JEA :
http://www.dailymotion.com/video/x8h8ue_brassens-supplique-pour-etre-enterr_music
MOP :
Le tonneau
rempli de rhum fort,
et de rêves.
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JEA :
http://www.dailymotion.com/video/x8h8ue_brassens-supplique-pour-etre-enterr_music
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MOP :
Le tonneau
rempli de rhum fort,
et de rêves.
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Brassens :
RépondreSupprimerhttp://www.dailymotion.com/video/x8h8ue_brassens-supplique-pour-etre-enterr_music
Ah, JEA ! Je ne parviens plus malheureusement à ouvrir les vidéos. Incompatibilité de Flash Player avec Fire Fox ? J'espère que le problème ne durera pas trop longtemps.
SupprimerCela s'appelle une excellente rentrée, avec des textes magnifiques porteurs de chaleur humaine. Bravo, Danièle.
RépondreSupprimer+
Le tonneau
rempli de rhum fort,
et de rêves.
+
Amicalement.
Merci beaucoup, Marcel ! J'ai passé à Sète une merveilleuse semaine. Du tonneau, je n'ai pas bu le rhum mais me suis enivrée du vent et des parfums de la Méditerranée.
SupprimerMerci pour ce compte-rendu estival sous forme de haïbun nouveau genre, agrémenté de citations de poètes, de chansonniers et de photo. C'est un peu comme si on avait pu y être, nous aussi.
RépondreSupprimerMerci, Monika. Partir, de temps en temps, pour rafraîchir la plume...
RépondreSupprimerMerci pour ce beau haïbun Danièle.
RépondreSupprimerHeureuse de te faire partager ses bons moments, minik do. Merci de ton passage !
SupprimerUn enchantement: le texte, les haïkus, les citations, les photos... et Brassens, bien entendu!
RépondreSupprimerMerci Danièle pour ce "voyage" qu je me contente de faire "immobile". Mais, comme dit Monika, à te lire, c'est un peu comme si j'y étais.
Merci, Monique ! Je suis très touchée qu'une belle plume comme la tienne apprécie !
SupprimerMerci pour ce voyage sur les terres de Georges sur cette île singulière qu'est la presqu’île de Sète
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Laurent ! Je crois que toutes les conditions étaient réunies pour que ma plume s'envole.
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