Au bord de nulle part
Par Michel Duflo
J’ai
longtemps cherché une définition du haïku qui me convienne. Je crois l’avoir
trouvée : « Au bord de nulle part ». Oui, c’est exactement ça,
un haïku. Une poignée de mots serrés sur une page blanche, tout près du rien,
du vide,
du silence.
du silence.
« Au
bord de nulle part » est justement le titre du dernier recueil de haïku de
Danièle Duteil. Un titre magnifique qui, on le pressent, ne laisse pas
indifférent une fois sa lecture achevée (d’ailleurs on le relira très vite).
C’est donc à pas feutrés, un peu intimidés, que nous y entrons. Nous y voici.
Ciel laiteux, matin monochrome, rue déserte, brouillard au port… le décor est
posé : nous sommes bien au bord de nulle part. Pour un peu, on se
demanderait ce que l’on fait là. Sauf que. Prenons le temps de regarder,
d’écouter. Ici un bateau invisible, là une empreinte de bécasseau, plus loin
des éclats de rire.
premières lueurs
entre les bottes de paille
quelques
brumes
A la fureur
des hommes et au brouhaha des grandes villes, Danièle, qui fut longtemps
insulaire (elle est née à Ré et y a résidé de nombreuses années), préfère ces
lieux où la vie sait se faire discrète et vraie. Bord de mer, plage battue par
les vents, parfois une ruelle, un quai, un passant. Rien de plus, pas
grand-chose, mais c’est déjà tellement.
une poignée de gros sel
sur les moules
ciel d’orage
Et dans ce
que l’on imagine être de longues promenades, Danièle n’a pas son pareil pour
mettre en correspondance le petit et l’immense, l’éphémère et l’éternité (nous
touchons là à l’essence même du haïku). Ce que nous n’aurions jamais remarqué,
elle le capture à l’instant même, telle une photographe de l’intime et de
l’immobile (je pense irrésistiblement à Michael Kenna).
brumes de chaleur
peu à peu les contours d’une île
absorbés
Et ne nous
trompons pas. Nulle nostalgie ou tristesse dans ses haïku, bien au contraire, une
joie immense, un bonheur des « petites choses », un sourire parfois, tant
la nature aime à nous surprendre.
en plein champ
une vache
mâche un nuage
Nul doute,
pour Danièle Duteil, humains et nature ne font qu’un, se répondent l’un à l’autre.
Et pour qui sait lire à travers les lignes (il y en a si peu dans un haïku), on
devine une histoire de maison à vendre, de toutes ces années passées en famille
sur l’île qui ne sera bientôt qu’un souvenir.
Au lecteur
maintenant de mettre ses pas dans ceux de l’auteure. D’autant que les éditions
Pippa ont eu l’excellente idée de rehausser le recueil de Danièle Duteil de magnifiques haïga de l’artiste roumain Ion
Codrescu, donnant au livre une dimension hautement poétique. Allez, bonne
lecture, relecture, re-relecture…
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