Le chat a ouvert son œil
Je suis rentré dans son
rêve
Le makimono[1] peut se dérouler.
Ainsi débute Haïku du chat de Jacques Poullaouec,
indiquant immédiatement combien le regard est important dans cette poésie. Quoi
de plus banal, somme toute, la poésie étant d’abord et avant tout une manière
particulière de regarder le monde ?
Surtout quand il s’agit de capturer l’instant, comme l’exige le haïku,
afin de restituer le réel avec la plus grande exactitude possible.
Mais ici, le regard n’est
pas ordinaire. Car il s’opère, entre le regardant et le regardé, une véritable
fusion. Peut-on parler de regard absolu ? Regard sans lequel l’écriture ne
serait qu’un faible reflet du vécu, ne pourrait pas avoir lieu, tout simplement. ;
Comment mieux approcher la
vérité, en effet, qu’en se confondant avec l’objet ? Je songe ici au poème
de Guillevic, « Bergeries », dans lequel l’auteur décrit une démarche
identique :
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler[2]
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler[2]
L’œil est une
fenêtre ouverte sur le monde. Et, dans la poésie de Jacques Poullaouec, tout se
passe comme si une fenêtre s’ouvrait sur une autre, et cette autre sur une troisième.
Il s’agit d’aller jusqu’au bout du voyage, d’explorer le plus à fond possible l’objet
à montrer, sans chercher l’illusion, sans substituer l’imaginaire à la réalité.
Ainsi, de la fusion même naîtra la distanciation nécessaire à l’écriture du
haïku :
Le chat ouvre son œil
Pour me laisser voir
A l’intérieur.
Comme si cela n’était pas
suffisant, le chat lui-même met la patte à l’ouvrage, se faisant poète et
calligraphe pour imprimer en négatif, du doux revers de ses coussinets, les
conditions nécessaires à la réussite :
Sous sa patte
le chat a effacé
tous les bruits.
Le chat d’ailleurs efface
beaucoup, jusqu’au trait de la page, jusqu’au blanc de la neige, jusqu’au blanc
du blanc… Il est un peu magicien.
Quant à Jacques Poullaouec,
il supprime les effets qui nuiraient à une perception de qualité et n’hésite
pas, en quelque sorte, à endosser la fourrure de son compagnon – « Moi
vouloir être chat », chantait Pow WoW – pour mieux le saisir d’un coup de
crayon. Quoique… Qui saisit l’autre finalement ?
Il me tire
Des mots de la
plume :
Le chat.
A trop se laisser absorber
par son sujet, ne court-on pas le risque d’inverser les rôles ? De se
perdre ? De se diluer ?
Le soleil s’égoutte
Le chat ouvre son œil
Je reste dans mon rêve.
Ouvrir l’œil
Sortir du rêve
Du chat.
Après tout, Masaoka Shiki,
adoptant semblable attitude, vécut un phénomène similaire :
Je cueille des champignons
–
ma voix
devient le vent ![3]
Le chat, comme chacun.e
sait, a plus d’un tour dans sa moustache : il est joueur. Le maître
pareillement s’amuse… jonglant avec les mots, triturant les sons…
Chut ! Le chat a chu
De ma plume
Sur le papier :
haïku !
Ces haches à thé
Chat ! … Cat
La hache a chu
…cultivant l’ambigüité et
les glissements de sens :
Averse sur la
gouttière !
Le chat a fui
Dans la gorge
Sur ces entrechats, j’arrête
là mon discours. Ami lecteur, amie lectrice, allez donc vous régaler de tout chat, « Œil du chat »,
« Chats perchés », « Chats posés », « Chats zen »
et autres chats ! Et n’oubliez pas de vous poser au passage sur les fines
et savoureuses illustrations de
l’auteur.
[1]
Makimono, ou makémono : au Japon, rouleaux manuscrits ou peints destinés à
être déroulés et lus horizontalement.
[2]Eugène
GUILLEVIC : Extrait de « Bergeries », in Autres, poèmes
1969-1979, éd. Gallimard, 1980.
[3]
Masaoka Shiki, in Anthologie du poème
court japonais, trad. Corinne
Atlan et Zéno Bianu, éd. Gallimard, coll. Poésie, 2012.
Merci pour cette superbe chronique sur le regard du poète, Danièle. Et sur celui, si particulier du faiseur de haïku. Bien agréable sujet que celui du chat, animal littéraire (et haïkiste) par excellence. Un petit bouquin que j'ajouterai volontiers à ma collection.
RépondreSupprimerMerci, Monique. C'est un excellent livre, Monique. J'ai passé un bon moment à le lire.
SupprimerPoétique et amusant, très drôle celui-ci!
RépondreSupprimerCes haches à thé
Chat ! … Cat
La hache a chu
Grand merci Danièle!
Jacques P. ne manque pas d'humour et a de beaux talents d'écriture. Merci, Colo !
SupprimerI love cats and their approach to life, and these here... say it so well! This, an old one of mine, I leave as a meow echo. _m
RépondreSupprimerthis robin
tugs the caving earthworm
a cat creeps
Yes, Magyar. Cats are friendly animals. Thank you for your echo.
Supprimer"Haïku du chat"
RépondreSupprimerun bon achat...
Très bon le jeu de mots, minik do ! Merci.
SupprimerBonsoir Danièle
RépondreSupprimerCe livre semble épouser la magie du chat et tu en parles superbement. Tu analyses pour nous et nous donnes envie de jouer à dos de chat-mots.
Merci, je note.
Bonjour Aliénor,
SupprimerLes chats inspirent beaucoup les auteurs, peut-être parce qu'ils sont moins prévisibles que les chiens... Pourtant, ils ne s'en laissent pas conter ! Très bon week-end.
Irrésistible, ta présentation. C'est noté, amour oblige - des chats et de la poésie.
RépondreSupprimerMerci beaucoup à toi, Tania ! Bon week-end.
SupprimerEncore merci Danièle pour cette magnifique présentation de cette ouvrage qui met l'eau à la bouche et aussi à n'en pas douter la main au porte-monnaie.
RépondreSupprimermodestement :
le chat est là
dans mon fauteuil
je suis bien las...
Amitié Danièle
Merci pour ton échochat, Yanis. Heureuse que ma présentation te donne envie de lire cet ouvrage : un bon moment de lecture en vue ! Très bon week-end.
Supprimersalut Danièle
RépondreSupprimerNous avons deux chats et je me dis chaque jour : Quelle marge y a t-il entre le côté intéressé du chat et le côté affectueux pour ses maîtres?
A l'inverse du chien qui aime ses maîtres par définition..
Alors c'est vrai, le chat est un animal majestueux, d'un équilibre extraordinaire, le chat est indépendant, etc...
Mais pourquoi est il au point d'inspirer à l'écriture?
Bel ouvrage et article passionnant .Merci
Bises . Yann
Bonjour Yann,
RépondreSupprimerPour ma part, je n'ai pas d'animaux : je les aime seulement dans la nature. Mes parents avaient un chat qui était fourbe au possible. Peut-être en avait-il marre aussi de supporter toutes les vilenies de la part des enfants que nous étions. Mais cet animal me fascine et m'amuse. Jacques Poullaouec l'a très bien cerné, d'un trait de plume. Il paraît que le chat c'est la femme et le chien l'homme...
Bon dimanche !
J'ai la même impression de rapprochement entre les haïkus et les "suppose" de Guillevic. Deux "formes" lointaines et proches à la fois.J'aime beaucoup ce que fait Jac. Le "Haïkus des pierres" avec Converset et le rêve d'Ouessant avec Inizan. Deux autres superbes livres.
RépondreSupprimerIl n'est jamais trop tard pour s'intéresser à un style novateur !
RépondreSupprimerMerci Bob, toi qui aimes bien les poissons et les fishes.Je t'ai reconnu.Amicalement Jac
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