lundi 13 janvier 2014

Premières heures, haÏbun







 
Premières heures




Une meute hurlante

sur les traces du chevreuil

la brume se déchire



Matin incertain. Le paysage se révèle par fragments sur l’horizon flottant. Mais la plupart des îlots qui émaillent la côte demeurent invisibles, fondus, absorbés par les fines gouttelettes en suspension, dans une aube qui hésite encore à se prononcer.


La dernière fois que le gracieux animal est venu croquer les feuilles du cornouiller, la colonne de mercure du thermomètre flirtait également avec le  zéro degré.

À présent, le petit bois situé derrière la maison est presque complètement dégarni. Seuls, les pins géants continuent de brandir leurs longues hampes hérissées d’aiguilles contre le ciel laiteux. On devine, derrière les taillis, surgies entre deux mondes, les allées et venues des mouettes attirées par une manne exhumée de tardifs labours ; apparitions furtives, dessinant un éphémère ballet blanc.


Le chemin qui mène vers la ria est jonché de branchages arrachés par la dernière tempête. Elle a tourné longtemps, pendant deux semaines,  déracinant de vieux conifères, emportant des digues et faisant reculer de plusieurs mètres les dunes fragilisées. Deux semaines à l’entendre gronder, telle une vague énorme, à travers champs et forêts, frappant aux portes des granges, balayant les derniers vestiges de l’automne.

La terre dégage une forte odeur d’humus et, dans le sol encore gorgé d’eau, la semelle s’enfonce. L’escalier tortueux qui descend vers la rive est resté couvert de mousse, imposant la prudence à quiconque s’aventure sur ses marches de pierre. Là où le pont minuscule enjambe un bras de l’Étel, perce soudain un rai de soleil qui vient lécher la berge découverte. Le lit déserté luit entre les strates de brumes attardées au creux de l’anse. Tout se tait. Moment épiphane, émotion fugace. La lumière démultipliée glisse sur les ourlets de vase qu’elle sculpte de sa tremblante iridescence, tandis que les herbes aquatiques s'ourlent de perles translucides.



Esquisse -

la silhouette d’un héron

dans les entrelacs



Mes cheveux sont humides. Je ne sais combien de temps je reste, immobile, retenant mon souffle, à observer la vie menue qui, à l’heure de la renverse, se déploie en secret dans les courbes protégées entre ria et océan.

Clic ! J’ose appuyer, de mes doigts gourds, sur le bouton du déclencheur de mon appareil photographique. Séisme immédiat. L’échassier déploie ses ailes et, les pattes tendues, disparaît mollement tandis que, quelque part au fond des herbes, retentit un bref plongeon.


Au bout du chemin, Patate, le chien de la ferme, me fait la fête, marquant de ses empreintes terreuses mon manteau sombre. Un morceau de bois lancé à bonne distance l’éloigne un bref instant, mais il revient à la charge. Je joue cinq minutes avec lui puis me lasse.


Là-bas, les brumes se sont décollées du rivage. Suspendues, parallèles au cours de l’eau qui maintenant remonte, elles s’effilochent dans la lumière diffuse. Une mouette et son reflet filent sur les flots, au gré du flux presque lisse.

Faible bruit de moteur. Une barge chargée de paniers d’huîtres rejoint lentement la berge opposée. Alors qu'elle contourne un minuscule îlot peuplé d’oiseaux de mer, un faisceau de soleil sectionne sa proue pendant quelques secondes. Réchauffant mes mains dans mes poches, je suis sa course du regard... Le léger clapot berce mes pensées vagabondes.



Ailes déployées

un cormoran dresse son ombre

l’eau scintille

**

14 commentaires:

  1. Magnifique haïbun!
    mimik

    RépondreSupprimer
  2. Lovely prose and verse powerfully combined. Well done.

    RépondreSupprimer
  3. Moment épiphane... C'est vraiment ce que je ressens de cette aube subtile. Beau haïbun du silence.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce matin encore, la brume voile légèrement l'horizon. Dans une heure, la lumière l'aura absorbée. Je n'entends que les oiseaux. Merci, Monique.

      Supprimer
  4. Réponses
    1. Et c'est presque tous les jours ainsi pendant l'hiver. Bonne semaine, minik do.

      Supprimer
  5. Magnifique texte, Danièle. Il est si difficile d'exprimer avec justesse ces moments fugaces qui nous font vibrer en silence. Ici la poésie se pose.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quel talent pour nous dévoiler peu à peu le paysage, sa vie et tes impressions! Ce mélange de genres m'enchante.
      (Je relis) Que c'est beau!

      Supprimer
    2. Merci, Tania. J'ai la chance de vivre dans un environnement splendide et paisible à la fois. Belle semaine !

      Supprimer
    3. Colo, heureuse que cette lecture te plaise. C'est aussi le mélange des genres qui m'attire dans le haïbun. Un exercice assez complet et tellement plaisant. Qui demande du temps, cependant. Très bonne semaine.

      Supprimer