Une meute hurlante
sur les traces du chevreuil
la brume se déchire
Matin incertain. Le paysage se révèle par
fragments sur l’horizon flottant. Mais la plupart des îlots qui émaillent la
côte demeurent invisibles, fondus, absorbés par les fines gouttelettes en
suspension, dans une aube qui hésite encore à se prononcer.
La dernière fois que le gracieux animal est venu
croquer les feuilles du cornouiller, la colonne de mercure du thermomètre flirtait
également avec le zéro degré.
À présent, le petit bois situé derrière la
maison est presque complètement dégarni. Seuls, les pins géants continuent de
brandir leurs longues hampes hérissées d’aiguilles contre le ciel laiteux. On
devine, derrière les taillis, surgies entre deux mondes, les allées et venues
des mouettes attirées par une manne exhumée de tardifs labours ; apparitions
furtives, dessinant un éphémère ballet blanc.
Le chemin qui mène vers la ria est jonché de
branchages arrachés par la dernière tempête. Elle a tourné longtemps, pendant
deux semaines, déracinant de vieux conifères,
emportant des digues et faisant reculer de plusieurs mètres les dunes
fragilisées. Deux semaines à l’entendre gronder, telle une vague énorme, à
travers champs et forêts, frappant aux portes des granges, balayant les
derniers vestiges de l’automne.
La terre dégage une forte odeur d’humus et, dans
le sol encore gorgé d’eau, la semelle s’enfonce. L’escalier tortueux qui
descend vers la rive est resté couvert de mousse, imposant la prudence à
quiconque s’aventure sur ses marches de pierre. Là où le pont minuscule enjambe
un bras de l’Étel, perce soudain un rai de soleil qui vient lécher la
berge découverte. Le lit déserté luit entre les strates de brumes attardées au
creux de l’anse. Tout se tait. Moment épiphane, émotion fugace. La lumière démultipliée
glisse sur les ourlets de vase qu’elle sculpte de sa tremblante iridescence,
tandis que les herbes aquatiques s'ourlent de perles translucides.
Esquisse -
la silhouette d’un héron
dans les entrelacs
Mes cheveux sont humides. Je ne sais combien de
temps je reste, immobile, retenant mon souffle, à observer la vie menue qui, à
l’heure de la renverse, se déploie en secret dans les courbes protégées entre
ria et océan.
Clic ! J’ose appuyer, de mes doigts gourds,
sur le bouton du déclencheur de mon appareil photographique. Séisme immédiat.
L’échassier déploie ses ailes et, les pattes tendues, disparaît mollement
tandis que, quelque part au fond des herbes, retentit un bref plongeon.
Au bout
du chemin, Patate, le chien de la ferme, me fait la fête, marquant de ses
empreintes terreuses mon manteau sombre. Un morceau de bois lancé à bonne
distance l’éloigne un bref instant, mais il revient à la charge. Je joue cinq
minutes avec lui puis me lasse.
Là-bas, les brumes se sont décollées du rivage.
Suspendues, parallèles au cours de l’eau qui maintenant remonte, elles
s’effilochent dans la lumière diffuse. Une mouette et son reflet filent sur les
flots, au gré du flux presque lisse.
Faible bruit de moteur. Une barge chargée de paniers
d’huîtres rejoint lentement la berge opposée. Alors qu'elle contourne un
minuscule îlot peuplé d’oiseaux de mer, un faisceau de soleil sectionne sa
proue pendant quelques secondes. Réchauffant mes mains dans mes poches, je suis
sa course du regard... Le léger clapot berce mes pensées vagabondes.
Ailes déployées
un cormoran dresse son ombre
l’eau scintille
**
Magnifique haïbun!
RépondreSupprimermimik
Merci, mimik. L'exercice est passionnant.
SupprimerLovely prose and verse powerfully combined. Well done.
RépondreSupprimerMany thanks for your feeling Bill.
SupprimerMoment épiphane... C'est vraiment ce que je ressens de cette aube subtile. Beau haïbun du silence.
RépondreSupprimerCe matin encore, la brume voile légèrement l'horizon. Dans une heure, la lumière l'aura absorbée. Je n'entends que les oiseaux. Merci, Monique.
SupprimerGrand... . Magnetic haibun. _m
RépondreSupprimerLandscape is so magnetic here. Thanks, Magyar.
SupprimerComme si nous y étions.
RépondreSupprimerEt c'est presque tous les jours ainsi pendant l'hiver. Bonne semaine, minik do.
SupprimerMagnifique texte, Danièle. Il est si difficile d'exprimer avec justesse ces moments fugaces qui nous font vibrer en silence. Ici la poésie se pose.
RépondreSupprimerQuel talent pour nous dévoiler peu à peu le paysage, sa vie et tes impressions! Ce mélange de genres m'enchante.
Supprimer(Je relis) Que c'est beau!
Merci, Tania. J'ai la chance de vivre dans un environnement splendide et paisible à la fois. Belle semaine !
SupprimerColo, heureuse que cette lecture te plaise. C'est aussi le mélange des genres qui m'attire dans le haïbun. Un exercice assez complet et tellement plaisant. Qui demande du temps, cependant. Très bonne semaine.
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