mercredi 12 décembre 2012

Lectures…

Sur les lèvres rouges des saisons, Lydia PADELLEC, Éditions de l’Amandier, septembre 2012, 12.00 €.

Le recueil de Lydia Padellec parcourt les saisons, de l’automne à l’été, en déclinant la poésie selon trois genres poétiques japonais, le tanka, le haïku et le haïbun.

Le haïku, sobre et ancré dans la réalité, fixe l’instant :

Tourbillons de flocons –
assis dans l’herbe gelée
qu’attend-t-il le chat ?

Tandis que dans le tanka, l’âme s’épanche davantage, avec retenue toutefois :

La nuit est si belle -
penchée à la fenêtre
je pense à toi
Mon ombre tremble
sous les étoiles glacées


Le haïbun, quant à lui, offre le loisir de développer, de narrer et de décrire, de (se) raconter, de perdre pied parfois lorsque la raison bascule dans l’imaginaire. Telle la bouée qui permet au naufragé de reprendre sa respiration, le haïku, semé à intervalles, recentre alors la pensée sur le réel.

La femme avance, silencieuse et humble, d’un pas qu’on pourrait croire dansant. Elle traverse le blanc et noir jauni d’une carte postale ancienne.

Sur mes lèvres
un goût brûlé
de crêpe au blé noir

La lumière de la lampe grésille doucement. Le papillon volette. Là, dans ce halo de lumière. Léger. Un murmure dans la nuit…
L’effleurement d’un tissu lourd contre un meuble. Je lève la tête et tends l’oreille : le vent a entrouvert la fenêtre. Il se frotte au rideau et balance les ombres. Etrangement… L’ombre à la fenêtre : ce n’est pas toi. Je le savais bien[1].


Chaque saison débute par un haïbun. Le premier, en automne, La nuit. Les livres dorment, se déploie dans l’obscurité. Il fait renaître le passé :
Une aïeule, de retour du lavoir ou du travail des champs, venue me consoler de la lenteur des mots.
On entrevoit des failles, des ruptures :
La trompette crie et se brise. Le piano s’arrête. La voix de Billie s’élève… et tombe quand la branche craque.
L’heure est à la solitude et à la vacuité…
On voudrait remplir le vide avec de l’encre.
au silence…
Je tourne en rond autour de ma page blanche. / La femme avance silencieuse…
à l’illusion, à la supercherie :
            Parfois d’étranges figures naissent à l’instant du sommeil et disparaissent[2].


Le dernier haïbun, situé en été, laisse percer la pleine lumière :
Le jardin est là, immaculé de lumière blanche.
Il vogue un instant sur les ailes du passé :
Le souvenir fugitif d’une petite fille qui court dans l’herbe.
Il s’arrête en pointant une blessure…
Un jouet, autrefois rouge, trône parmi les pâquerettes. Cassé. Oublié.
puis se laisse porter, à la faveur du passage d’un moineau, étoile filante en plein jour, du côté de la vie qui résonne à proximité dans le rire des mouettes au creux des coquillages, pour enfin ouvrir à nouveau la porte au passé, vague qui va et vient, sommeillant dans le parfum de quelques brins de lavande :

Jardin de grand-mère –
l’odeur fragile
du souvenir

Entre les deux, le haïbun d’hiver. L’auteure, seule, marche au bras des ombres :
Aujourd’hui, je marche seule dans la neige. Je pense aux haïjins, à Bashô, à Santôka…
Déstabilisée par un tourbillon floconneux, elle se laisse aller au vertige :
La chute des flocons a quelque chose d’hypnotique. Elle nous entraîne avec elle.
L’imaginaire prend le pas sur le réel…
Mon esprit est ailleurs…
tous deux fondus dans le silence et le coton hivernal :

La neige tombe
sur la neige
quiétude

Santôka

Les années lointaines, par la voix de Santôka, reviennent, s’insinuent dans le présent, auquel elles s’accordent, estompant les limites du temps, de l’espace et de la mémoire :

Des flocons de neige
sur mon visage empourpré :
baisers de la lune

Est-ce l’envie de tirer l’auteure de son engourdissement et de sa torpeur qui me fait placer en dernier le haïbun de printemps ?
Des akènes de pissenlit s’échappent de ma mémoire.
La vie et l’amour éclatent enfin – Le son claque et résonne… Des notes de musique s’élèvent, égrenant dans l’air une allégresse inhabituelle :
C’est un bel après-midi de printemps et je marche aux côtés de celui qui deviendra mon amoureux.
Si la nuit revient encore, elle brille de tous ses feux :
Les lumières de la ville prennent peu à peu possession de la Seine.

Et la corde vibre, pincée cette fois par un être de chair :

Nuit sans lune –
Dans le vent froid
l’écho doux d’une guitare

Les mots de Lydia se posent légers sur la page qu’ils effleurent. Est-ce sa pudeur qui en atténue les contours ? L’ambiance onirique qui baigne ce beau recueil ? Ou bien les deux ?


[1] DESNOS, Robert : « A la faveur de la nuit », extrait de A la mystérieuse, 1926.
[2] Idem.


20 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci, Marcel ! Ce recueil de Lydia est très réussi.

      Supprimer
  2. Thank you for introducing me to this fine poet, and for your sensitive and imaginative comments.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Thanks, Bill. Lydia is a young poet and friend of mine.

      Supprimer
  3. Hum ! avec ton beau billet qui met l'eau à la bouche, il n'y a plus qu'à se désaltérer sans modération.

    belle soirée

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, Yanis. Je prends parfois plus de plaisir à commenter qu'à écrire moi-même. Et lire les autres est une manière de se ressourcer aussi... Très belle soirée également.

      Supprimer
  4. Tes explications sont si claires et belles...que je pourrais bien m'y essayer! merci Danièle!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce genre d'écriture est très agréable. Peu le pratiquent encore en France mais ça vient. Je serais contente que tu t'y essaies. Bonne soirée, Colo.

      Supprimer
  5. Merci Danièle
    j'ai lu ce post avec plaisir
    c’est un bel après-midi d'hiver :)
    Amitiés
    Iris

    RépondreSupprimer
  6. Tu m'as convaincu d'acheter ce beau livre.
    Merci Danièle.

    RépondreSupprimer
  7. Réponses
    1. C'est un plaisir pour moi de faire découvrir quelques auteur.es. Bon week-end, Yanis.

      Supprimer
  8. Oh oui, Danièle, ce recueil de Lydia Padellec est une belle invitation à s'émerveiller.
    Tanka, haïbun, deux nouveaux mots pour moi, que je découvre avec sa poésie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce sont là les trois formes brèves de la poésie japonaise. J'aime bien les trois. Merci de ton passage, Tania.

      Supprimer
  9. Quelle belle page d'explications claires.J'apprécie.

    Je vais essayer de m'en imprégner.
    Merci.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, Maïté. Bonne créativité et bon week-end !

      Supprimer
  10. J'ai commandé son livre, je sais que je vais attendre ...

    Plus le temps passe
    plus monte le désir
    qui pourtant toujours chute

    amitié

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour elle, Yanis. Elle sera heureuse. Amitiés.

      Supprimer