Lectures…
Sur les lèvres rouges des saisons, Lydia PADELLEC, Éditions
de l’Amandier, septembre 2012, 12.00 €.
Le recueil de Lydia Padellec parcourt les
saisons, de l’automne à l’été, en déclinant la poésie selon trois genres
poétiques japonais, le tanka, le haïku et le haïbun.
Le haïku, sobre et ancré dans la réalité,
fixe l’instant :
Tourbillons de flocons –
assis dans l’herbe gelée
qu’attend-t-il le chat ?
Tandis que dans le tanka, l’âme s’épanche
davantage, avec retenue toutefois :
La nuit est si belle -
penchée à la fenêtre
je pense à toi
Mon ombre tremble
sous les étoiles glacées
Le haïbun, quant à lui, offre le loisir de
développer, de narrer et de décrire, de (se) raconter, de perdre pied parfois
lorsque la raison bascule dans l’imaginaire. Telle la bouée qui permet au
naufragé de reprendre sa respiration, le haïku, semé à intervalles, recentre alors
la pensée sur le réel.
La femme avance,
silencieuse et humble, d’un pas qu’on pourrait croire dansant. Elle traverse le
blanc et noir jauni d’une carte postale ancienne.
Sur mes lèvres
un goût brûlé
de crêpe au blé noir
La lumière de la
lampe grésille doucement. Le papillon volette. Là, dans ce halo de lumière.
Léger. Un murmure dans la nuit…
L’effleurement d’un
tissu lourd contre un meuble. Je lève la tête et tends l’oreille : le vent
a entrouvert la fenêtre. Il se frotte au rideau et balance les ombres.
Etrangement… L’ombre à la fenêtre : ce
n’est pas toi. Je le savais bien[1].
Chaque saison débute par un haïbun. Le
premier, en automne, La nuit. Les livres dorment, se déploie dans
l’obscurité. Il fait renaître le passé :
Une aïeule, de retour du lavoir ou du travail des champs, venue me
consoler de la lenteur des mots.
On entrevoit des failles, des ruptures :
La trompette crie et se brise. Le piano s’arrête. La voix de Billie
s’élève… et tombe quand la branche craque.
L’heure est à la solitude et à la vacuité…
On voudrait remplir le vide avec de l’encre.
au silence…
Je tourne en rond autour de ma page blanche. / La femme avance
silencieuse…
à l’illusion, à la supercherie :
Parfois d’étranges figures naissent à l’instant du sommeil et disparaissent[2].
Le dernier haïbun, situé en été, laisse
percer la pleine lumière :
Le jardin est là, immaculé de lumière blanche.
Il vogue un instant sur les ailes du
passé :
Le souvenir fugitif d’une petite fille qui court dans l’herbe.
Il s’arrête en pointant une blessure…
Un jouet, autrefois rouge, trône parmi les pâquerettes. Cassé. Oublié.
puis se laisse porter, à la faveur du passage
d’un moineau, étoile filante en plein jour, du côté de la vie
qui résonne à proximité dans le rire des mouettes
au creux des coquillages,
pour enfin ouvrir à nouveau la porte au passé, vague qui va et vient, sommeillant
dans le parfum de quelques brins de lavande :
Jardin de grand-mère –
l’odeur fragile
du souvenir
Entre les deux, le haïbun d’hiver. L’auteure,
seule, marche au bras des ombres :
Aujourd’hui, je marche seule dans la neige. Je pense aux haïjins, à
Bashô, à Santôka…
Déstabilisée par un tourbillon floconneux,
elle se laisse aller au vertige :
La chute des flocons a quelque chose d’hypnotique. Elle nous entraîne
avec elle.
L’imaginaire prend le pas sur le réel…
Mon esprit est ailleurs…
tous deux fondus dans le silence et le coton
hivernal :
La neige tombe
sur la neige
quiétude
Santôka
Les années lointaines, par la voix de
Santôka, reviennent, s’insinuent dans le présent, auquel elles s’accordent,
estompant les limites du temps, de l’espace et de la mémoire :
Des flocons de neige
sur mon visage empourpré :
baisers de la lune
Est-ce l’envie de tirer l’auteure de son
engourdissement et de sa torpeur qui me fait placer en dernier le haïbun de
printemps ?
Des akènes de pissenlit s’échappent de ma mémoire.
La vie et l’amour éclatent enfin – Le son claque et résonne… Des notes de musique s’élèvent, égrenant dans
l’air une allégresse inhabituelle :
C’est un bel après-midi de printemps et je marche aux côtés de celui qui
deviendra mon amoureux.
Si la nuit revient encore, elle brille de
tous ses feux :
Les lumières de la ville prennent peu à peu possession de la Seine.
Et la corde vibre, pincée cette fois par un être
de chair :
Nuit sans lune –
Dans le vent froid
l’écho doux d’une guitare
Les mots de Lydia se posent légers sur la
page qu’ils effleurent. Est-ce sa pudeur qui en atténue les contours ? L’ambiance
onirique qui baigne ce beau recueil ? Ou bien les deux ?
De la belle oeuvre.
RépondreSupprimerMerci, Marcel ! Ce recueil de Lydia est très réussi.
SupprimerThank you for introducing me to this fine poet, and for your sensitive and imaginative comments.
RépondreSupprimerThanks, Bill. Lydia is a young poet and friend of mine.
SupprimerHum ! avec ton beau billet qui met l'eau à la bouche, il n'y a plus qu'à se désaltérer sans modération.
RépondreSupprimerbelle soirée
Merci, Yanis. Je prends parfois plus de plaisir à commenter qu'à écrire moi-même. Et lire les autres est une manière de se ressourcer aussi... Très belle soirée également.
SupprimerTes explications sont si claires et belles...que je pourrais bien m'y essayer! merci Danièle!
RépondreSupprimerCe genre d'écriture est très agréable. Peu le pratiquent encore en France mais ça vient. Je serais contente que tu t'y essaies. Bonne soirée, Colo.
SupprimerMerci Danièle
RépondreSupprimerj'ai lu ce post avec plaisir
c’est un bel après-midi d'hiver :)
Amitiés
Iris
Merci beaucoup, Iris.
SupprimerAmitiés
Tu m'as convaincu d'acheter ce beau livre.
RépondreSupprimerMerci Danièle.
Merci pour l'auteure, minik do. Bonne journée.
SupprimerMerci pour cette belle découverte !
RépondreSupprimerC'est un plaisir pour moi de faire découvrir quelques auteur.es. Bon week-end, Yanis.
SupprimerOh oui, Danièle, ce recueil de Lydia Padellec est une belle invitation à s'émerveiller.
RépondreSupprimerTanka, haïbun, deux nouveaux mots pour moi, que je découvre avec sa poésie.
Ce sont là les trois formes brèves de la poésie japonaise. J'aime bien les trois. Merci de ton passage, Tania.
SupprimerQuelle belle page d'explications claires.J'apprécie.
RépondreSupprimerJe vais essayer de m'en imprégner.
Merci.
Merci beaucoup, Maïté. Bonne créativité et bon week-end !
SupprimerJ'ai commandé son livre, je sais que je vais attendre ...
RépondreSupprimerPlus le temps passe
plus monte le désir
qui pourtant toujours chute
amitié
Merci pour elle, Yanis. Elle sera heureuse. Amitiés.
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