Lectures…
Y marcher jusqu’à l’orée, haïkus, tankas et haïbuns : Luce PELLETIER, Editions
Marcel Broquet, Québec, septembre 2012.
Haïkus,
tankas et haïbuns,
annonce le sous-titre. Le recueil de Luce comporte de nombreux haïkus, trois
tankas, dix haïbuns (prose + haïku.s) et un « kabun » (prose +
tanka.s). Il suit le déroulé de l’année, au fil des saisons et des mois.
L’ouvrage débute par une tempête de neige au
printemps…
neige jusqu’au
toit
et dessus
presque autant –
la charpente
craque
Et s’achève sur l’hiver glacial :
froid sibérien
à ne pas mettre
un chien dehors –
ta tuque tes mitaines
Nous sommes au Québec ! Quand les rudes
conditions atmosphériques n’obligent pas l’auteure à «s’encabaner », cette
dernière vaque à ses occupations de femme moderne, dans sa ville, Montréal…
cohue du métro –
ta photo sur mon
portable
ta voix tout de
suite
Ou dans d’autres villes, comme Paris, pendant
la période de congés…
foule du midi
étouffante à
Paris-plage -
« Allons au
Printemps »
Mais, très souvent, lorsque la température
est clémente, elle aime goûter les charmes de la nature, y mêlant
éventuellement d’autres charmes :
le couchant sur
l’étang
se colore de
piment
ta barbe de
miel…
Cependant, le temps d’effeuiller la
marguerite n’est pas éternel : la vie se charge d’éloigner les amants d’un
été…
nuages d’été
la marguerite
effeuillée
le train siffle
au loin
L’expression du sentiment reste toutefois discrète,
se révélant souvent à travers le regard :
à mi-vie
comblée à
nouveau
d’un regard
fortuit
sur
l’étang soyeux
j’aperçois
mon reflet
et
mes yeux mouillés
Le tanka se prête mieux à l’évocation
sentimentale, surtout lorsque le jeu des sonorités décline en rondeurs
serpentines sensualité et volupté :
le rideau de
soie
alors que la
lune est ronde
glisse sous mes
doigts
que reste un
instant de plus
la lune rose et
son sourire
À moins que le poème en cinq vers préfère manier,
l’air de rien, le trait d’humour :
en haut le héron
au milieu mon
hameçon
en bas le requin
le soleil bas
dans le ciel
juste un
clapotis
La poésie de Luce procède le plus souvent par
touches rapides. Il s’agit certes là de la caractéristique essentielle des
formes brèves japonaises, mais ce style semble toucher à son paroxysme dans la
plupart des haïbuns tous extrêmement brefs.
Dans celui-ci, elle s’amuse, adoptant la
rythmique et le ton enjoué d’une comptine :
Schuberacadie Sam, Balzac Billie, Wiarton Willie,
General Beauregard Lee, Staten Island Chuck, Malreme Mei. Viendra-t-on en
foule me voir enlever mes petits bas de laine ?
0
0
0
blizzard
jusqu’au cou
plein les bottes – la marmotte
n’en voit RIEN du tout…
0
0
0
0
J’ai cru d’abord que l’auteure égrenait les
noms des stations du métro de Montréal bien que bizarrement, aucune d’entre
elles n’éveillait en moi le moindre souvenir de mon séjour dans cette ville.
Poussée par la curiosité et le doute, j’ai « cliqué » sur la fonction
« recherche » d’internet. Voici ce que j’ai découvert dans
« LA PRESSE CANADIENNE » :
Printemps hâtif - Sam n’a pas vu son ombre
le mercredi
2 février, 2011
SHUBENACADIE,
Nouvelle-Écosse - Le premier des prévisionnistes à fourrure d’Amérique du Nord
à sortir de son terrier en ce Jour de la marmotte n’a pas vu son ombre, un
signe avant-coureur du printemps.
[…]Les marmottes Wiarton Willie, de l’Ontario, Balzac Billy, de l’Alberta,
et Fred, de Val d’Espoir, en Gaspésie, doivent aussi se prononcer.
En vertu de la tradition, si une marmotte voit son ombre le Jour de la marmotte, elle va fuir vers son terrier, annonçant six semaines d’hiver de plus, et si elle ne la voit pas, cela signifie que printemps sera hâtif.
En vertu de la tradition, si une marmotte voit son ombre le Jour de la marmotte, elle va fuir vers son terrier, annonçant six semaines d’hiver de plus, et si elle ne la voit pas, cela signifie que printemps sera hâtif.
Mais bien sûr ! Il s’agit des marmottes,
dont on guette le comportement outre-Atlantique pour prévoir l’arrivée du
printemps…
Luce poursuit, dans le style elliptique,
phrases nominales et brèves, très brèves. Celles-ci s’accordent plutôt bien au
tournis que ne manque pas de provoquer la proximité des grands ensembles de la
Capitale française :
grand portail
clos –
l’adresse le nom cherchés
et « trente-si’
pitons »…
Devant moi
l’allée. Une cour. Une enfilade de cours. Des dizaines de portes. Une adresse
sur un bout de papier.
Le haïku et la narration relèvent de la même
veine d’écriture, observant une continuité de rythme de telle sorte que
l’articulation entre les deux genres poétiques « glisse »
parfaitement, sans heurt, insensiblement.
Le « kabun » final apparaît plus
paisible. Bien que la phrase reste concise, elle est plus souvent verbale et
dégage une poésie certaine, liée aux sons, aux couleurs, aux images. Cette
poétique, attachée à des éléments et symboles immuables, diffère de celle du
tanka, aux dimensions certes spatiales mais à la fois très humaines, qui semble
susciter un questionnement sur la tournure du monde d’aujourd’hui.
[…] Restent les froids de février. Les
grands froids. Ceux qui rendent la musique si douce. Lueur de la lune sur la
neige. Le blanc jusqu’à l’horizon. De mes pieds jusqu’aux étoiles. Une à une.
Et tout ce qui en a l’air.
la station
spatiale
point lumineux
dans la nuit –
ils regardent en
bas
et je suis là à
rêver
à ce qu’ils
peuvent bien voir…
Le style du recueil, sa syntaxe rapide,
ramassée, elliptique, discontinue, souvent proche du langage parlé finalement, qui
livre par touches jetées une infinie variété d’impressions, inscrit sans
équivoque Y marcher jusqu’à l’orée dans
la modernité. La poésie qui s’y déploie, variée, volontiers imprévisible, se
révèle en parfait accord avec le monde contemporain.
Merci encore pour ce beau voyage dans les mots et la découverte.
RépondreSupprimerMerci de ton passage ! Bonne soirée.
SupprimerMerci pour cette recension du dernier livre de Luce Pelletier !
RépondreSupprimerJ'ai lu et étudié son recueil avec plaisir.
SupprimerC'est très agréable de se balader parmi les mots pour découvrir l'univers d'un auteur.
RépondreSupprimermerci
Les mots des autres... Tout un monde à découvrir. Merci, Yanis !
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