En pleine figure
Haïkus de la guerre de
14-18
Anthologie établie par Dominique Chipot, Préface de Jean Rouaud, Editions Bruno Doucey,
octobre 2013.
Enlisés dans la guerre de
14-18 et l’ombre des tranchées, des millions d’hommes dont de très jeunes
combattants, ont connu l’horreur.
Mais, dans cette noirceur
ambiante, comment libérer une souffrance
sans fond ? En pleine figure
fait parvenir jusqu’à nous les tourments de certains héros comme autant de
jaillissements de la conscience ou de l’âme.
Attaque de
nuit ;
Tirez !
Mais tirez donc !
dans le tas
(Anonyme)
On se prend à frémir aux côtés
d’une sentinelle,
À un nuage qui bouge au
fond d’une mare
J’ai
crié : Qui va là ?
Il était
loin déjà. (Maurice Betz, Petite Suite guerrière)
à recenser les absences :
Quand ils
s’assemblent
Des absents
sont là
Et des
morts renaissent (André
Cuisenier)
Est-il possible, qu’au fond du
chaos, s’éclaire encore, grâce suprême, une flammèche d’espoir et de
douceur ?
Côte à côte
l’hiver
Deux buissons
de fils barbelés,
En mai,
l’un fleurit d’aubépine (Henri Druart)
Surprise ! Au détour
d’une page, René Druart m’entraîne sur un chemin (montant, s’il m’en souvient)
que j’ai maintes fois emprunté lors de mes visites à mes grands-parents paternels.
Malgré mon jeune âge, et malgré le temps passé, j’avais conscience d’une
atmosphère pesante…
De Vailly à
Craonne,
Le Chemin
des Dames
Est pavé de
crânes. (René Druart, Chemin des Dames)
Qu’est devenue la petite
épicerie de Vailly ? Et « Craonne »… Ce nom impressionnait mes
six ans. Je comprends, à présent : phonétiquement, il est si proche de
« crânes ».
Certains tercets, comme ceux
de Marc-Adolphe Guégan, dégagent un cynisme terrible :
Le fusil
Regard du fusil qui vise,
Regard de brune fatale
On reçoit le coup de foudre.
Des noms, aujourd’hui connus,
joignent leurs voix aux récits de
douleurs, même décrivant l’après,
Je n’irai
pas au cimetière
Je cherche
son souvenir,
Et non son
cadavre. (René Maublanc)
ou lorsqu’une mère est
atteinte elle aussi en plein cœur :
En pleine
figure,
La balle
mortelle,
On a
dit : au cœur – à sa mère (idem)
Julien Vocance, avec ses Cent visions de guerre, clôt le concert
des paroles (re)venues du front. On découvre encore sept autres carnets de
lui : Donner ta vie, Protée ou la vie d’un homme…
Les
cadavres entre les tranchées,
Depuis
trois mois noircissant,
Ont attrapé
la pelade. (Cent visions de guerre)
Dans sa
postface, Dominique Chipot retrace l’histoire du haïku en France au début du 20e
siècle, insistant sur l’apport déterminant de Paul-Louis Couchoud notamment,
qui a initié « à l’art du haï -kaï […] certains de ses amis » dont
Julien Vocance, Hubert Morand, Albert Poncin ou encore André Faure.
Il rend aussi
hommage à Julien Vocance, grâce à qui le haïku « n’est plus le poème des
seules saisons, mais celui de tous les instants. »
Le recueil
fournit en outre des bibliographies de chacun des quinze poètes connus
(d’autres ne sont pas identifiés), tandis qu’en dernière page figure un manuscrit
autographe de René Maublanc.
En ce temps
de commémorations du centenaire de la Grande Guerre, En pleine figure devait voir le jour pour témoigner et porter
jusqu’à nous les éclats de plume de ces poètes combattants. Merci à Dominique
Chipot d’avoir réalisé cette précieuse anthologie.
**
On lit ces haïkus le coeur serré. Quelle bonne idée, cette anthologie, qui rend à la guerre une facette d'humanité.
RépondreSupprimerJe trouve aussi très touchant de pouvoir lire aujourd'hui des haïkus écrits en des temps si tristes.
SupprimerQuel titre bien choisi. Des mots comme des coups de fusil, de foudre, de peur.
RépondreSupprimerD'une telle violence malheureusement...
SupprimerBeaucoup d'émotion dans ces haïkus. Pour moi qui essaie de retrouver la trace d'un jeune "grand-père" mort à 27 ans à Salonique....
RépondreSupprimerIls étaient si jeunes !
SupprimerAvec ce livre, la mémoire peut rester vivante. Merci à Dominique Chipot et à toi Danièle de le relayer.
RépondreSupprimerA l'occasion du 1er Novembre de cette année, j'ai écrit :
face à face
les mêmes hommes
de chair et de sang
Amitié
Merci Yanis. Ton haïku fait bien ressortir la grande absurdité de la guerre.
SupprimerBelle semaine.
We learn from history, grandly noted here, but each flake of snow, is different.
RépondreSupprimeras they were then
we are now of that same sky
snow flakes
Yes, nothing has changed. Thanks, Magyar.
SupprimerMerci pour cette belle (et terrible) découverte... La force du haïku se révèle dans le drame aussi.
RépondreSupprimerSans doute est-ce une forme très adaptée pour noter de tels moments de fracas. Bonne journée.
SupprimerUne belle découverte que je vais noter.
RépondreSupprimerEnfin, belle par sa forme, l'évocation de ses misères, l'émotion des lieux et drames suggérés. J'ai ressenti ici la même pesanteur que lorsque j'ai visité Le Chemin des Dames.
Merci Danielle.
Merci de ton intérêt pour ce recueil; Aliénor. Je l'ai trouvé très touchant. Belles fêtes de Noël !
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