samedi 8 décembre 2012



le liseron du soir
la grâce
des choses cachées

Chiyo ni (1703-1775), trad. CHENG WING fun / Hervé COLLET

夕顔や
物のかくれて
うつくしき
yûgao ya
mono no kakurete
utsukushiki



Il existe bien des formes de haïku. Beaucoup sont simplement descriptifs ou contemplatifs. Mais il semble que les plus aboutis soient les moins bavards, ceux qui épurent le langage, se contentant d’effleurer la page d’une esquisse.

Comme la fleur de liseron qui, le soir venu, préserve l’intimité de ses formes en refermant sa corolle, le haïku se doit de garder une part de mystère. Ainsi, ne dévoilant pas d’emblée tous ses attraits, il invite les lecteurs et lectrices à se pencher sur lui un peu plus longtemps, à se questionner,  à ébaucher des hypothèses, à projeter leur propre sensibilité sur les mots pour permettre au(x) sens d’éclore. Que l’auteur.e capable d’octroyer cette liberté à ceux et celles qui le/la lisent fait alors preuve de grâce et d’élégance ! Chiyo ni le savait bien qui aurait sans doute volontiers acquiescé aux paroles de Maurice Coyaud rappelant ainsi l’idéal japonais du yûgen (ou « ineffable ») :

ne pas dépasser le seuil de la simple suggestionlaisser les portes du sens grandes ouvertes. 

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"Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint."
(Verlaine, L'art poétique)

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23 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec ta position...

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  2. tout un art bien difficile à atteindre; mais que cela est bien dit.

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    1. Tout est dans la subtilité. Bonne fin de week-end, Maïté !

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  3. Le non-dit, la non-trace...tant en si peu, laissant place à l'imaginaire de l'autre

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    1. C'est un peu pareil pour l'aquarelle, Jacqueline. Ne crois-tu pas ? Je reviens vers toi ce soir ou demain pour notre projet. A très bientôt !

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  4. Effleurer, oui! Jolie cette métaphore du liseron, la belle de nuit aussi.
    J'aime bien plus les arts, expressions qui suggèrent, laissant au regardant/lisant tout le loisir d'imaginer, percevoir ce qu¡il veut.
    Belle soirée Danièle!

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    1. Merci, Colo. Je pense que tout le monde est d'accord sur ce point.

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  5. Très élégante description du haïku.
    Et c'est vrai qu'il est comme le liseron, une fois qu'on s'y empêtre, difficile de s'en détacher :-)

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    1. Il est difficile de se détacher du haïku, c'est certain. Il faudrait se poser la question de savoir pourquoi il plaît autant. Merci, Saravati !

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  6. Ce billet est un rappel très juste et précis et sincèrement je t'en remercie. Néanmoins très modestement - car je sais où je me situe vis à vis de nos Maîtres - je ferais un bémol, à savoir que d'effleurer la page d'une esquisse rime trop souvent avec une poésie édulcorée par trop d'épure, dans une volonté excessive de faire simple et Modestement Correcte. La suggestion ne doit pas évincer la saveur, la force, l'engagement, la créativité et l'esprit d'aventure - sortir des sentiers battus - en Osant au risque de se tromper.

    Chère Danièle, belle soirée

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    1. Je suis bien d'accord, Yanis. Quand je parle d'esquisse, je veux parler d'un trait léger qui ne dévoile pas tout... Sans pour autant réduire le haïku au squelette de la forme. Chiyo ni excelle ici car son haïku en japonais est écrit selon le rythme 5/7/5. La suggestion, bien loin de retrancher, ajoute ici saveur et force. Certains haïkus peuvent être très courts et suggérer beaucoup moins. C'est bien là que l'art de l'auteur.e intervient.

      Bonne soirée

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  7. "Rien de plus cher que la chanson grise
    Où l'Indécis au Précis se joint."
    (Verlaine, L'art poétique)

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    1. Merci, Tania ! Je parie que mon nouveau commentaire, 3les lèvres rouges des saisons", va te plaire.

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  8. Bien sur je ne parlais pas de Chiyo ni, loin de moi de critiquer un haïku si délicat.

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  9. Arrivant (comme souvent maintenant, désolée ! ) un peu en retard dans cette discussion, j'ose néanmoins y mettre mon grain de sel, au risque de me faire houspiller par les admirateurs et admiratrices de Chiyo ni. Il est vrai qu'on ne devrait jamais juger un haïku japonais uniquement à partir d'une traduction, mais je me permets tout de même ici une voix discordante. En fait, j'aime beaucoup certains haïkus de Chiyo ni, comme celui-ci en particulier

    le liseron
    au seau du puits s'est emmêlé
    je demande de l'eau à mon voisin

    Mais pour celui du liseron du soir que tu cites, Danièle, il y a quelque chose qui me dérange. Je crois que ce sont l'abstraction (la grâce) et l'interprétation (ou la conclusion) gracieusement fournie au lecteur par la poète en L2 et L3. Il est vrai qu'il y a du non-dit ici (on laisse au lecteur le soin d'imaginer toutes ces "choses cachées", mais il n'en demeure pas moins que la poète laisse très clairement entendre (trop à mon goût) où elle veut en venir et ce qu'il faut comprendre. On n'a alors plus affaire à une image concrète permettant au lecteur de ressentir à son tour une émotion et une expérience d'un instant. L'abstraction "la grâce des choses cachées" ferme le haïku, au lieu de l'ouvrir.

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    1. Bonjour Monika,

      Tu as sans doute raison : Chiyo ni en dit trop ici. C'est bien le paradoxe ! Je me suis servie de son haïku pour ma démonstration, c'est à dire en appliquant ce qu'il dit à ce que devrait être un haïku abouti. Je ne dis pas que ce haïku précisément suggère, à aucun moment je crois. Il s'agissait juste de la réflexion que les paroles de Chiyo ni, dans ce haïku, m'inspiraient et non du commentaire du haïku.

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  10. Ah, d'accord ! Je suis contente qu'on partage le même point de vue sur ce haïku en particulier !

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    1. Je ne peux m'empêcher d'interpréter même si, paraît-il, le haïku ne se commente pas. Pourtant ici, comme dans celui des fleurs de pruniers que j'ai cité précédemment, ou encore dans le haïku de Bashô sur la grenouille, et d'autres... il est clair qu'un message est envoyé aux lecteur/-rices. Quant on parle de la rareté des métaphores dans le haïku, j'ai quelque doute.

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