lundi 27 avril 2015

Au bord de nulle part


Au bord de nulle part


Par Michel Duflo
 
J’ai longtemps cherché une définition du haïku qui me convienne. Je crois l’avoir trouvée : « Au bord de nulle part ». Oui, c’est exactement ça, un haïku. Une poignée de mots serrés sur une page blanche, tout près du rien, du vide,
du silence.


« Au bord de nulle part » est justement le titre du dernier recueil de haïku de Danièle Duteil. Un titre magnifique qui, on le pressent, ne laisse pas indifférent une fois sa lecture achevée (d’ailleurs on le relira très vite). C’est donc à pas feutrés, un peu intimidés, que nous y entrons. Nous y voici. Ciel laiteux, matin monochrome, rue déserte, brouillard au port… le décor est posé : nous sommes bien au bord de nulle part. Pour un peu, on se demanderait ce que l’on fait là. Sauf que. Prenons le temps de regarder, d’écouter. Ici un bateau invisible, là une empreinte de bécasseau, plus loin des éclats de rire.



premières lueurs

entre les bottes de paille

quelques brumes





A la fureur des hommes et au brouhaha des grandes villes, Danièle, qui fut longtemps insulaire (elle est née à Ré et y a résidé de nombreuses années), préfère ces lieux où la vie sait se faire discrète et vraie. Bord de mer, plage battue par les vents, parfois une ruelle, un quai, un passant. Rien de plus, pas grand-chose, mais c’est déjà tellement.





une poignée de gros sel

sur les moules

ciel d’orage





Et dans ce que l’on imagine être de longues promenades, Danièle n’a pas son pareil pour mettre en correspondance le petit et l’immense, l’éphémère et l’éternité (nous touchons là à l’essence même du haïku). Ce que nous n’aurions jamais remarqué, elle le capture à l’instant même, telle une photographe de l’intime et de l’immobile (je pense irrésistiblement à Michael Kenna).





 brumes de chaleur

peu à peu les contours d’une île

absorbés





Et ne nous trompons pas. Nulle nostalgie ou tristesse dans ses haïku, bien au contraire, une joie immense, un bonheur des « petites choses », un sourire parfois, tant la nature aime à nous surprendre.




en plein champ

une vache

mâche un nuage





Nul doute, pour Danièle Duteil, humains et nature ne font qu’un, se répondent l’un à l’autre. Et pour qui sait lire à travers les lignes (il y en a si peu dans un haïku), on devine une histoire de maison à vendre, de toutes ces années passées en famille sur l’île qui ne sera bientôt qu’un souvenir.





Au lecteur maintenant de mettre ses pas dans ceux de l’auteure. D’autant que les éditions Pippa ont eu l’excellente idée de rehausser le recueil de Danièle Duteil  de magnifiques haïga de l’artiste roumain Ion Codrescu, donnant au livre une dimension hautement poétique. Allez, bonne lecture, relecture, re-relecture…

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mercredi 22 avril 2015

Notre temps



côtes en vue -
leurs yeux vides
au bout du voyage
ils ne connaîtront pas
le goût de la liberté

** 


Magyar

capsized
sailing to a lost promise
the lives 

chavirés
dérivant vers à une promesse perdue
la vie

** 

Marcel

Leur barque
renversée,
quels cris !


** 

Mercé

Liberté de vous-même
perdu dans les vagues de la vie
ne sachant pas maintenir leurs convictions
aux modes imposées par la société ...
 

** 

 Bill

voyagers
as far as hope
could bring them


voyageurs
aussi loin
que l'espoir les porte

(Trad. Danièle)

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