mercredi 8 août 2012


 
Festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée, Sète, 20-28 juillet 2012






Quelque chose de nous
vivra
dans le balancement léger des asphodèles

Jacques Lovichi (France)

Assise sur la jetée, je feuillète le programme du festival de poésie de Sète, « Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée ». Entre les pages du livret résonne, à intervalles réguliers, comme rythmé par le mouvement même des vagues qui fouettent les rochers à mes pieds, le chant profond d’artistes venus de tous les pays qui forment le bassin de « La grande bleue » et de contrées francophones. À eux seuls, les intitulés des nombreuses animations proposées me transportent et m’enchantent : « Toutes voiles dehors », « La clef des champs », « Poésie de plein fouet », « D’une rive à l’autre », « Sieste par sons et par mots », « La tête dans les nuages »…
Fille de l’océan, je choisis d’assister, pour cette première soirée, à une lecture musicale joliment nommée « Poésie dans les voiles ».  Le spectacle se déroule à quai, sur un vieux gréement baptisé « Le jusqu’au bout » dont le propriétaire, un navigateur chevronné à barbe chenue, est très fier de nous faire les honneurs. Malgré la chaleur estivale, le vent frais qui court sur les flots nous oblige à enfiler « une petite laine ». Bientôt, dans l’obscurité naissante, s’élève le souffle puissant du poète voyageur Anthony Phelps. L’artiste haïtien entonne un véritable hymne à l’amour, à son pays, à la femme, tandis qu’à l’avant du mât de misaine, la trinquette à peine renflée claque doucement entre les cordages.

près des filets
le cri rauque des goélands
la soirée s’étire


Premier matin sur la Place du « Pouffre ». Ce mot appartient à la langue littorale et lagunaire sétoise : il signifie « poulpe ».
Au centre de la fontaine, le mollusque crache sans interruption sur les pigeons ébouriffés, accompagnant les débats poétiques d’un léger gargouillis. Le stand haïku se situe au fond, à droite, de sorte que les gens qui l’atteignent ne le font pas par hasard : ils connaissent déjà peu ou prou le sujet. Un poète confirmé m’interroge longuement sur les livres présentés. Nous échangeons tous deux nos points de vue sur quelques haïkus avant qu’il ne porte son choix sur Les herbes m’appellent[1] et sur CHOU HIBOU HAÏKU Guide de haïku à l’école et ailleurs[2]. En riant, il me présente alors son épouse japonaise : « Elle s’appelle justement Haïshu ! ».
Sous l’auvent, l’après-midi devient brûlant. Pour une fois, je n’ai guère besoin de me forcer pour boire : ma bouteille d’eau gazeuse est promptement avalée.
Se succèdent différentes personnes, toutes curieuses d’échanger sur le haïku. L’une d’elles, chef de service dans un hôpital psychiatrique, a décidé que les membres de son équipe porteraient au tableau d’affichage, chaque matin, un haïku, afin de détendre les esprits avant d’entamer la lourde journée de travail.
Certains désirent des renseignements à propos du haïbun qui intéresse passablement les auteurs de nouvelles. Une femme est ravie d’apprendre le nom de ce texte littéraire qui mêle prose et haïku : « J’en écris depuis longtemps sans même savoir qu’il s’agit du haïbun ! ».

Cette encre me porte aussi haut que mon souffle

Mohamed Bennis (Maroc)


Peu à peu, l’air est devenu moite. La brume baigne à présent le port, nimbant les lourds chalutiers qui rentrent pour la criée. Les mouettes et goélands tapageurs, attirés par la manne, suivent leur sillage et fondent à grands battements d’ailes sur les poissons blessés jetés par-dessus bord.
À quai, flotte l’odeur caractéristique des retours de pêche, tandis que l’effervescence s’empare de chaque équipage. Le butin est trié par catégories et tailles : de nombreux bacs de rougets, petits merlus, baudroies, daurades royales, poulpes ou encore anchois, maquereaux et autres animaux pélagiques… mais les sardines, de plus en plus rares dans le secteur, manquent à l’appel.
Une fois le poisson débarqué, les acheteurs prennent place dans l’amphithéâtre. Ils flairent alors la bonne affaire sur le tapis roulant et le cadran, car la criée est aujourd’hui entièrement automatisée. L’astuce consiste à déclencher prestement la télécommande infrarouge lorsque l’enchère descend au bon prix. Si deux clients se manifestent au même moment, celle-ci remonte jusqu’à l’instant où l’un d’entre eux réagit le premier.





En remontant par la Rue Rapide, nous tombons sur un insolite spectacle de rue improvisé : deux femmes et un enfant sont endormis sur une scène, livrés au regard des passants qui, un peu étonnés, font soudain silence. Ailleurs, la poésie bat son plein dans une impasse de la largeur d’une estrade. Aux sublimes envolées amoureuses, répondent les cris stridents des oiseaux de mer attroupés sur les toits. Alors qu’une rafale d’applaudissements nourris retentit, le poète, qui s’apprête à se lever pour remercier l'auditoire, tombe de son siège et se retrouve, un peu ahuri mais souriant toujours, les quatre fers en l’air. Les applaudissements redoublent.

J’avale le monde à chaque instant
et peu après il est à nouveau dans ma bouche

Claudio Pozzani (Italie)
 




Nous redécouvrons Georges Brassens à l’Espace qui lui est dédié, parcourant sa vie au son de sa voix et de ses chansons tellement pleines d’allant et d’ironie mordante. La guitare égrène ses facéties appuyées d’un clin d’œil malicieux.  

Le cimetière le Py, cimetière « des pauvres », surplombe l’étang de Thau. Des cyprès géants le bordent et les cigales creusent le silence aux heures les plus torrides. « Un petit trou moelleux », en guise d’ultime demeure, abrite les restes du poète chanteur.

cette ombre sur le marbre…
est-ce le pin parasol 
ou bien la croix ?


Musique :G




Brassens, Supplique pour être enterré sur la plage de Sète 






La Camarde qui ne m'a jamais pardonné

D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez

Me poursuit d'un zèle imbécile

Alors cerné de près par les enterrements

J'ai cru bon de remettre à jour mon testament

De me payer un codicille

 
Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion
Trempe trempe ta plume ô mon vieux tabellion
Et de ta plus belle écriture
Note ce qu'il faudra qu'il advint de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord
Que sur un seul point  la rupture
 
Quand mon âme aura pris son vol à l'horizon
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson
Celles des titis des grisettes
Que vers le sol natal mon corps soit ramené
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée
Terminus en gare de Sète
 
Mon caveau de famille hélas ! n'est pas tout neuf
Vulgairement parlant il est plein comme un œuf
Et d'ici que quelqu'un n'en sorte
Il risque de se faire tard et je ne peux
Dire à ces braves gens  poussez-vous donc un peu
Place aux jeunes en quelque sorte
 
Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c'est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d'enfance les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche
 
C'est une plage où même à ses moments furieux
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux
Où quand un bateau fait naufrage
Le capitaine crie  "Je suis le maître à bord !
Sauve qui peut le vin et le pastis d'abord
Chacun sa bonbonne et courage"
 
Et c'est là que jadis à quinze ans révolus
À  l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus
Je connus la prime amourette
Auprès d'une sirène une femme-poisson
Je reçus de l'amour la première leçon
Avalai la première arête
 
Déférence gardée envers Paul Valéry
Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris
Le bon maître me le pardonne
Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens
Mon cimetière soit plus marin que le sien
Et n'en déplaise aux autochtones
 
Cette tombe en sandwich entre le ciel et l'eau
Ne donnera pas une ombre triste au tableau
Mais un charme indéfinissable
Les baigneuses s'en serviront de paravent
Pour changer de tenue et les petits enfants
Diront  chouette un château de sable !
 
Est-ce trop demander  sur mon petit lopin
Planter je vous en prie une espèce de pin
Pin parasol de préférence
Qui saura prémunir contre l'insolation
Les bons amis venus faire sur ma concession
D'affectueuses révérences
 
Tantôt venant d'Espagne et tantôt d'Italie
Tous chargés de parfums de musiques jolies
Le Mistral et la Tramontane
Sur mon dernier sommeil verseront les échos
De villanelle un jour un jour de fandango
De tarentelle de sardane
 
Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec rien que moins de costume
J'en demande pardon par avance à Jésus
Si l'ombre de sa croix s'y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthume
 
Pauvres rois pharaons pauvre Napoléon
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon
Pauvres cendres de conséquence
Vous envierez un peu l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant
Qui passe sa mort en vacances
Vous envierez un peu l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant
Qui passe sa mort en vacances




Déclin du jour. Le soleil inonde le théâtre de la mer vers lequel se presse la foule. Les gradins sont presque complets déjà. Un paquebot se profile à l’horizon, derrière la scène, tandis que les projecteurs éclairent bientôt le vol de quelque goéland de passage au fond de l’enceinte de pierre ouverte sur le large.
Le bruit du ressac couvre de temps en temps le brouhaha des voix.
Après un prélude poétique par Gabrielle Althen (France) et Philippe Thancelin (France), débute le somptueux spectacle donné par le duo Nathalie Dessay et Michel Legrand. S’engage un touchant et magnifique dialogue entre le talentueux octogénaire et la jeune virtuose, serments d’amour échangés dans la nuit comblée.

Mon instant s’est suspendu
À un temps beau, écoulé et fini

Saadlah Mufarreh (Koweit)




[1] Les herbes m'appellent, éditions L'iroli, haïkus de Niji Fuyuno et Ryu Yotsuya, préface et essais de Thierry Cazals, 2012, ISBN 978-2-916616-22-3.
[2] CHOU HIBOU HAIKU Guide de haïku à l'école et ailleurs - collectif sous la direction de Jean Antonini - Alter éditions, 2011, ISBN 978-2-84301-331-7

N.B. Les extraits poétiques cités ont été choisis parmi ceux qui émaillent les pages du livre consacré au programme du Festival « Voix Vives » de Sète.

***********************************************************************************

JEA :

 http://www.dailymotion.com/video/x8h8ue_brassens-supplique-pour-etre-enterr_music

**

MOP :

Le tonneau
rempli de rhum fort,
et de rêves.

**

12 commentaires:

  1. Brassens :
    http://www.dailymotion.com/video/x8h8ue_brassens-supplique-pour-etre-enterr_music

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, JEA ! Je ne parviens plus malheureusement à ouvrir les vidéos. Incompatibilité de Flash Player avec Fire Fox ? J'espère que le problème ne durera pas trop longtemps.

      Supprimer
  2. Cela s'appelle une excellente rentrée, avec des textes magnifiques porteurs de chaleur humaine. Bravo, Danièle.

    +

    Le tonneau
    rempli de rhum fort,
    et de rêves.

    +

    Amicalement.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, Marcel ! J'ai passé à Sète une merveilleuse semaine. Du tonneau, je n'ai pas bu le rhum mais me suis enivrée du vent et des parfums de la Méditerranée.

      Supprimer
  3. Merci pour ce compte-rendu estival sous forme de haïbun nouveau genre, agrémenté de citations de poètes, de chansonniers et de photo. C'est un peu comme si on avait pu y être, nous aussi.

    RépondreSupprimer
  4. Merci, Monika. Partir, de temps en temps, pour rafraîchir la plume...

    RépondreSupprimer
  5. Merci pour ce beau haïbun Danièle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Heureuse de te faire partager ses bons moments, minik do. Merci de ton passage !

      Supprimer
  6. Un enchantement: le texte, les haïkus, les citations, les photos... et Brassens, bien entendu!
    Merci Danièle pour ce "voyage" qu je me contente de faire "immobile". Mais, comme dit Monika, à te lire, c'est un peu comme si j'y étais.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, Monique ! Je suis très touchée qu'une belle plume comme la tienne apprécie !

      Supprimer
  7. Merci pour ce voyage sur les terres de Georges sur cette île singulière qu'est la presqu’île de Sète

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, Laurent ! Je crois que toutes les conditions étaient réunies pour que ma plume s'envole.

      Supprimer