jeudi 5 décembre 2013

En pleine figure



 En pleine figure

Haïkus de la guerre de 14-18




Anthologie établie par Dominique Chipot, Préface de Jean Rouaud, Editions Bruno Doucey, octobre 2013.








Enlisés dans la guerre de 14-18 et l’ombre des tranchées, des millions d’hommes dont de très jeunes combattants, ont connu l’horreur.

Mais, dans cette noirceur ambiante, comment libérer une  souffrance sans fond ? En pleine figure fait parvenir jusqu’à nous les tourments de certains héros comme autant de jaillissements de la conscience ou de l’âme.



Attaque de nuit ;

Tirez ! Mais tirez donc !

dans le tas          (Anonyme)



On se prend à frémir aux côtés d’une sentinelle,



À un nuage qui bouge au fond d’une mare

J’ai crié : Qui va là ?

Il était loin déjà.               (Maurice Betz, Petite Suite guerrière)



à recenser les absences :



Quand ils s’assemblent

Des absents sont là

Et des morts renaissent               (André Cuisenier)





Est-il possible, qu’au fond du chaos, s’éclaire encore, grâce suprême, une flammèche d’espoir et de douceur ?



Côte à côte l’hiver

Deux buissons de fils barbelés,

En mai, l’un fleurit d’aubépine  (Henri Druart)



Surprise ! Au détour d’une page, René Druart m’entraîne sur un chemin (montant, s’il m’en souvient) que j’ai maintes fois emprunté lors de mes visites à mes grands-parents paternels. Malgré mon jeune âge, et malgré le temps passé, j’avais conscience d’une atmosphère pesante…



De Vailly à Craonne,

Le Chemin des Dames

Est pavé de crânes.        (René Druart, Chemin des Dames)



Qu’est devenue la petite épicerie de Vailly ? Et « Craonne »… Ce nom impressionnait mes six ans. Je comprends, à présent : phonétiquement, il est si proche de « crânes ».



Certains tercets, comme ceux de Marc-Adolphe Guégan, dégagent un cynisme terrible :



Le fusil

                Regard du fusil qui vise,

Regard de brune fatale

On reçoit le coup de foudre.



Des noms, aujourd’hui connus, joignent leurs voix aux récits  de douleurs, même décrivant l’après,



Je n’irai pas au cimetière

Je cherche son souvenir,

Et non son cadavre.       (René Maublanc)



ou lorsqu’une mère est atteinte elle aussi en plein cœur :



En pleine figure,

La balle mortelle,

On a dit : au cœur – à sa mère   (idem)



Julien Vocance, avec ses Cent visions de guerre, clôt le concert des paroles (re)venues du front. On découvre encore sept autres carnets de lui : Donner ta vie, Protée ou la vie d’un homme



Les cadavres entre les tranchées,

Depuis trois mois noircissant,

Ont attrapé la pelade.   (Cent visions de guerre)



Dans sa postface, Dominique Chipot retrace l’histoire du haïku en France au début du 20e siècle, insistant sur l’apport déterminant de Paul-Louis Couchoud notamment, qui a initié « à l’art du haï -kaï […] certains de ses amis » dont Julien Vocance, Hubert Morand, Albert Poncin ou encore André Faure.

Il rend aussi hommage à Julien Vocance, grâce à qui le haïku « n’est plus le poème des seules saisons, mais celui de tous les instants. »

Le recueil fournit en outre des bibliographies de chacun des quinze poètes connus (d’autres ne sont pas identifiés), tandis qu’en dernière page figure un manuscrit autographe de René Maublanc.



En ce temps de commémorations du centenaire de la Grande Guerre, En pleine figure devait voir le jour pour témoigner et porter jusqu’à nous les éclats de plume de ces poètes combattants. Merci à Dominique Chipot d’avoir réalisé cette précieuse anthologie.


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14 commentaires:

  1. On lit ces haïkus le coeur serré. Quelle bonne idée, cette anthologie, qui rend à la guerre une facette d'humanité.

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    1. Je trouve aussi très touchant de pouvoir lire aujourd'hui des haïkus écrits en des temps si tristes.

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  2. Quel titre bien choisi. Des mots comme des coups de fusil, de foudre, de peur.

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  3. Beaucoup d'émotion dans ces haïkus. Pour moi qui essaie de retrouver la trace d'un jeune "grand-père" mort à 27 ans à Salonique....

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  4. Avec ce livre, la mémoire peut rester vivante. Merci à Dominique Chipot et à toi Danièle de le relayer.
    A l'occasion du 1er Novembre de cette année, j'ai écrit :

    face à face
    les mêmes hommes
    de chair et de sang

    Amitié

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    1. Merci Yanis. Ton haïku fait bien ressortir la grande absurdité de la guerre.

      Belle semaine.

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  5. We learn from history, grandly noted here, but each flake of snow, is different.

    as they were then
    we are now of that same sky
    snow flakes

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  6. Merci pour cette belle (et terrible) découverte... La force du haïku se révèle dans le drame aussi.

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    1. Sans doute est-ce une forme très adaptée pour noter de tels moments de fracas. Bonne journée.

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  7. Une belle découverte que je vais noter.
    Enfin, belle par sa forme, l'évocation de ses misères, l'émotion des lieux et drames suggérés. J'ai ressenti ici la même pesanteur que lorsque j'ai visité Le Chemin des Dames.
    Merci Danielle.

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    1. Merci de ton intérêt pour ce recueil; Aliénor. Je l'ai trouvé très touchant. Belles fêtes de Noël !

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